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Le saule pleureur (1)

          Le saule pleureur ne fait pas de bruit. C'est le seul arbre qui dort encore dans le parc. Tous les autres sont debout depuis longtemps et s'ébrouent dans le vent, faisant tomber les dernières gouttes de pluie de la nuit. Chaque créature a repris son activité quotidienne : les oiseaux font résonner leurs petits cris stridents en bondissant de branche en branche ; les papillons tournoient parmi la glycine, les rosiers, le lilas et le cerisier ; les bourdons tentent péniblement de les suivre en agitant leurs ailes grossières et le coucou bat la cadence de son appel lancinant. Mais au milieu, le saule dort toujours. Le voile de nuages gris poursuit son repli en s'inclinant devant le soleil et la nature se rallume en faisant éclater ses couleurs printanières. Un vert fluorescent, moucheté de mauve envoûtant, de rose épicé et de jaune sucré inonde la campagne. Devant la maison, une délicieuse fumée s'élève au-dessus des braises de charbon sous le regard satisfait de deux hommes en grande discussion, un verre à la main. A quelques mètres d'eux, un chien grogne de plaisir en se roulant dans l'herbe molle et encore humide. Au loin, le ronronnement d'une tondeuse berce les premiers instants de sieste dominicale. Et pourtant, seul au coeur de cette animation paisible, le saule pleureur reste immobile. Ses longues branches maintiennent le rideau de lianes baissé et semblent renfermer un étrange secret. Que peut-il bien cacher ?

Le chien, dont le museau trop curieux s'est fait chasser par les deux hommes, s'approche en trottinant de l'arbre endormi. Il s'arrête net au pied du mur de feuilles grisâtres, les oreilles dressées, la truffe en alerte. De l'autre côté, le silence règne. Cependant le chien sent quelque chose, comme une présence mystérieuse qui l'intrigue. Il risque une moustache ou deux à travers le branchage. Qu'est-ce donc que cette masse sombre recroquevillée contre le tronc, figée dans l'écorce ? Il ne sait définir l'odeur qui s'en émane. Il avance alors de quelques pattes, lentement, avec précaution, sans quitter l'objet des yeux, prêt à bondir en arrière en cas d'attaque. Son museau n'est plus qu'à quelques centimètres de l'ombre inerte et il reconnaît un parfum sucré de fleur d'oranger mêlé à celui du jasmin. Il reste sans bouger face à cette chose suspecte que son flair d'habitude imparable ne sait pas décrypter.

Quand soudain quelque chose remue dans un craquement de feuilles...

 

 

La voisine, 26/04-14/06/2015.

 

*Liste d'honneur du concours de nouvelles 2015 (Editions Contre-Ciel).



03/09/2015
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