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Retrouvailles

C'est étrange, je reconnais à peine la route, cette route que j'ai pourtant faite cent fois. C'est étrange et en même temps j'ai l'impression d'avoir vécu tant de vies depuis mes 18 ans...

 

Les mouettes envahissent la place en ricanant comme des hyènes. Elles tournoient au-dessus du marché et de ces briques rouges qui m'encerclent. On n'entend qu'elles et leur rire mauvais entre deux rafales de vent.

Est-ce de moi qu'elles se moquent ? De cette étrangère qui revient s'assoir à la table de ses 20 ans ? De ces quinze années qui refont soudain surface comme un vieux fossile oublié ? De ces rides et de ces mèches grisonnantes que je m'efforce de ne pas voir dans le reflet des vitrines ?

On dirait que tout est comme avant, mais on dirait que tout a changé.

Je m'arrête un instant au pied de mon premier appartement, mon tout premier chez moi, à moi rien qu'à moi. J'hésite un peu, toutes les fenêtres se ressemblent. Sauf que trois d'entre elles n'ont pas le double vitrage, mes oreilles s'en souviennent encore. Aujourd'hui, ces trois fenêtres n'ont pas bougé, elles continuent de faire face au mur des urines, comme j'avais l'habitude d'appeler ce recoin nauséabond. En revanche, on a gommé les graffiti qui faisaient diversion et tentaient d'égayer un peu le lieu.

Tout comme on a ravalé les trottoirs de la rue en la recouvrant de pavés tout neufs, bien propres et bien lisses. Je n'avais jamais remarqué combien les immeubles de cette rue étaient beaux !  Guère plus de deux étages, façades colorées, briques rouges, fenêtres en demi-lune... Mes jeunes yeux d'alors devaient chercher d'autres trésors à contempler.

J'ai emprunté cette rue tant de fois, de jour ou de nuit, seule la plupart du temps. Je sais déjà ce que je vais trouver au bout, du moins si le décor est resté le même. Une place cernée de bars, dont un où l'on boit visiblement toujours le Pastis au mètre, un pont qui s'en va rejoindre l'autre rive et ce grand dôme verdâtre qui surplombe la Garonne, véritable reine des lieux. Aujourd'hui, en prime, le soleil de midi s'invite aux retrouvailles !

Je ne suis pas la seule à savourer le moment, nous sommes des centaines à flâner le long des quais dans cette douceur printanière toute nouvelle.

Parmi tous ces gens, il me semble parfois reconnaître la silhouette, le profil, le visage d'une jeune fille que j'ai bien connue. Mais alors que je me rapproche d'eux, le visage, le profil, la silhouette deviennent flous puis finissent par s'évanouir dans le vol des pigeons au-dessus des toits.

Ce n'est pas grave, je vais continuer de marcher, sans autre but que vérifier l'état de ma mémoire : la boulangerie à la sortie de la bouche de métro où j'allais me gaver de sucreries en rentrant de la fac ; les fauteuils aux noms de stars hollywoodiennes du bistrot à côté du cinéma où je me rendais plusieurs fois par semaine ; la petite place coquette aux boutiques de créateurs et de couturiers et aux salons de thé à l'anglaise...

 

J'ai marché ainsi tout l'après-midi à en avoir mal aux pieds. Puis l'heure de s'en retourner vers la gare est venue.

Me voilà de nouveau confortablement installée dans le train qui me ramène chez moi.

Le soleil s'incline d'un côté, et on dirait que je le suis.

Ce soir, en balayant la campagne de mes yeux fatigués, je ne sais pas trop quoi penser de ces retrouvailles.

Qui donc ai-je retrouvé ? Que suis-je réellement venue chercher ?

Peut-être seulement un moment, la lumière de cette journée, de cette ville si belle au soleil.

Peut-être un peu plus que cela ; un peu de moi, éparpillée de-ci de-là au gré de ces quinze années qui ont filé parfois si vite, parfois si lentement ; de ce moi observé aujourd'hui d'un peu plus haut, d'un peu plus loin, par cette femme au regard ému et au ventre arrondi.

 

 

 

La voisine, 15/02-23/03/2017.

 

 



23/03/2017
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