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Regards dans le miroir


Dans l'oeil du tigre

 

C’est l’histoire d’une jeune femme

Au jour 1 de sa vie.

Elle fuyait une dame,

Une petite fille aussi.

Elle partit en voyage

Et tomba sur œil.

Celui d’une bête sauvage,

Un tigre plein d’orgueil.

Dans leur chanson commune,

Ils se firent une promesse.

Protégés par la lune,

Ils entrèrent en liesse.

Désormais plus jamais

Ils n’entendraient les cris

Des démons du passé,

Fantômes de longues nuits.

A la place, une route

Qui file droit devant,

Parfois semée de doutes

Mais belle comme le vent.

Un jour, elle s’arrêta

Juste au bord d’un fossé

Dans lequel elle trouva

Deux êtres qui pleuraient.

Elle leur ouvrit la porte

Et fit monter l’enfant

Dans son humble roulotte

Puis dit à la maman :

« Je ne veux plus vous fuir,

Je n’ai plus peur de vous.

Fortes des souvenirs

Et libres comme tout,

Reprenons toutes trois

Cette route qui est la nôtre,

Puisque vous êtes moi

Et que je suis votre hôte. »

 

 

La voisine, le 12-15/05/2014


01/08/2014
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La plume et le poignard

 

Au début, elle est imperceptible, sournoise petite voix venue d’on ne sait où, par un sentier long, sinueux, escarpé, entravé et obscur. Elle s’immisce délicatement, telle une plume de duvet et se pose quelque part dans la mémoire. A chaque parole, chaque geste, chaque regard elle se déplace et finit par remonter à la surface. Et ce n’est plus une plume, c’est un poignard acéré, cherchant partout sa cible.

Le poignard se plante, s’enfonce, déchire tout sur son passage pour ne laisser que des lambeaux, des morceaux de chair ensanglantés. Il n’a plus de limites, lacérant un sourire, éventrant un souvenir, réduisant à néant le moindre soupçon de dignité. Le sang coule en larmes des yeux ravagés et impuissants. La bouche envoutée ne comprend plus les mots qu’elle profère. Un cataclysme. Il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre, immobile, la fin du massacre.

Elle viendra, comme chaque fois, lentement, rendant à la petite voix sournoise sa forme initiale. Et le poignard redeviendra plume, toute douce et minuscule, posée sagement dans un recoin de l’âme. La tempête passée, tout sera de nouveau calme et apaisé. Ne resteront plus que les yeux et la bouche encore un peu abasourdis, contemplant le triste spectacle, n’osant à peine y croire. Et pourtant ce seront bien des corps meurtris du passé, des vestiges d’une vie antérieure étendus là devant eux, inertes et baignant dans le sang. Le silence règnera sur cette terre inanimée. On relèvera les victimes, tentera de sauver celles qui peuvent l’être. La lumière réapparaitra peu à peu, les nuages se disperseront et même quelques fleurs repousseront au-dessus des souvenirs ensevelis. Dans l’air flottera le sentiment d’un mauvais rêve à chasser d’un revers de la main.

Cependant, dans ce paysage presque normal, on entendra au loin une petite voix, quasi imperceptible, chanter un doux refrain, tel le chant des sirènes, rappelant toujours que derrière la plume sommeille le poignard.

 

 

La voisine, le 25/07/2010.


01/08/2014
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Collioure

 

Et si mon village avait été le même mais dans un autre endroit.  Au bord de la mer par exemple ou dans un autre pays. Les mêmes gens, les mêmes têtes, le même nombre, mais pas ici. Ce ne serait pas pareil. Tout serait différent.

Et si je ne t’avais pas rencontré, si tu ne m’avais pas souri et moi non plus. Si tu ne m’avais pas embrassée ce matin-là, sur cette place, dans ce village, sous le regard curieux de tous ces gens. Si tu ne m’avais pas quittée, si tu t’étais retourné cet autre matin. Si tu étais revenu sur tes pas et m’avais reprise dans tes bras, comme la première fois.

Où serais-je aujourd’hui ?

Je ne serais certainement pas là, assise face à la mer. Je ne serais pas sur les routes à fuir le bonheur en lui courant après. Je ne suivrais pas le vent, ni son parfum, ni sa musique. Ce ne serait pas pareil. Tout serait différent.

Si mon village était ailleurs et si tu m’aimais toujours, je ne verrais pas le monde tel qu’il m’apparait ce soir, comme un château flottant au-dessus des lumières, surplombant la mer, mystérieux, intrigant, inquiétant. Je ne marcherais pas toute seule dans un sable trop chaud, sur une plage inconnue. J’aurais peur de la foule qui me frôle sans me voir. J’aurais peur de sourire, de danser, de sentir.

Si tout cela n’avait pas été écrit ainsi, j’aurais un autre livre dans les mains.

Mais celui-ci me plait.

 

 

La voisine, le 25/04/2008.


01/08/2014
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La peur au ventre

 

J’avais peur de manger. J’avais peur d’être heureuse. Trop heureuse d’un coup. Peur de ce qui vient après le bonheur. D’être déçue, affreusement déçue que ce soit déjà fini. J’avais peur de profiter de la vie. De savourer le moment où l’on est bien sans rien penser d’autre, sans se poser de questions. J’avais peur de mon corps car il me disait des choses que je ne voulais pas entendre. J’avais peur de la solitude mais je m’éloignais moi-même du monde extérieur. Je vivais dans le mien. Plein d’angoisses, de doutes et de douleurs.

Je ne vivais plus la même vie, je ne voyais plus les mêmes choses.

Je ne faisais que penser, penser au malheur, à la nuit, à la maladie. J’avais peur de la pluie. Peur de l’hiver et des portes fermées. J’avais peur de ma chambre et de la nuit pleine de cauchemars. J’attendais le printemps avec impatience. Le printemps avec ses matinées ensoleillées et ses parfums de fleurs en éveil. J’attendais ce réveil qui ne venait pas.

Je ne vivais plus la même vie, je ne voyais plus les mêmes choses.

Je me détachais de plus en plus de ce corps qui ne me répondait plus. J’avais peur de lui et de  ce qu’il me disait. Je voulais le chasser tant il me faisait horreur. Je voulais oublier qu’il existait. Et tous ces corps autour, qui vivaient normalement. Qui me montraient combien j’étais loin d’eux, loin de ce monde. J’avais peur de m’en rapprocher. Je n’osais plus bouger.

Je ne vivais plus la même vie, je ne voyais plus les mêmes choses.

J’avançais tant bien que mal au son des aiguilles de la pendule. Elles me faisaient peur. Elles résonnaient aux quatre coins de ma maison et de mon esprit. Ce chant infernal de l’ennui qui me prenait aux tripes. Ce rythme angoissant du temps qui passe et ne reviendra plus. Temps gâché, perdu, qui n’a servi à rien. J’avais peur de ce sentiment de culpabilité. Quand la terre tourne et qu’on la laisse filer. Parce qu’on a peur. Parce qu’on ne s’y sent plus en sécurité.

Je ne vivais plus la même vie, je ne voyais plus les mêmes choses.

J’oubliais même parfois que j’étais là. J’avais peur d’écrire. De faire sortir mes questions et mes angoisses. J’avais peur que les mots ne veuillent pas m’obéir. Qu’ils n’en fassent qu’à leur tête et m’accablent encore plus de douleur. J’avais peur de manquer d’inspiration, d’avoir perdu mes idées, mon imagination. Je n’osais même plus la chercher, l’appeler. Il me semblait l’avoir elle aussi laissée dans l’autre monde, avec tout le reste.

Je ne vivais plus la même vie, je ne voyais plus les mêmes choses.

Je comprenais tout le contraire de ce que me disait mon corps. Alors qu’il sonnait l’alarme pour me pousser à me battre, je croyais qu’il m’annonçait la fin, qu’il ne voulait plus de moi. J’avais peur de manger. D’être heureuse. J’avais peur de la vie. Et je ne craignais pas la mort. Je m’en suis même rapprochée parfois. Je me prenais à croire qu’elle pourrait devenir mon amie et me soulager de mes peurs.

Je ne sais pas d’où sont venus tous ces fantômes.  Ce que je sais, c’est que le printemps finit toujours par arriver.

Et ce matin, je mange une pomme…

 

 

La voisine, le 14/06/2005.


01/08/2014
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Petite, elle avait peur de grandir

 

Petite, elle avait peur de grandir. Peur de partir, de quitter sa bulle de coton remplie de fumée. Elle avait peur de perdre ses poupées, ses jouets et ses rêves. Le monde des adultes l’effrayait. Il lui paraissait trop dur, avec toutes ces questions auxquelles il faut à tout prix répondre. Il lui paraissait triste, comme un pays tout gris, sans rires et sans fêtes, sans bonbons et sans chocolat. Il lui paraissait trop réel. Pas de place pour l’imaginaire, pas le temps de s’enfuir, de s’amuser, d’inventer des choses.

Petite, elle avait peur de grandir. Peur des garçons, de l’amour, comme un passage obligé pour tout le monde. Elle préférait les promenades avec son chien, les cabanes dans la forêt, les guerres entre cow-boys et indiens. Elle aimait les aventures dans le jardin des grands-parents, les quatre heures aux tartines de confiture, la chasse aux étoiles filantes, pendant que d’autres préparaient leur première surprise party. Elle parlait à ses cailloux, faisait des cimetières pour les souris ou les hérissons, sauvait des fleurs fanées ou des arbres prisonniers du lierre.

Petite, elle avait peur de grandir. Peur d’oublier son enfance, son innocence, parce que les grands oublient tout avec le temps. Elle aimait écrire des poèmes sur son école, sur son village, sur la planète qui souffre et les enfants malheureux. Elle lisait beaucoup et rêvait de sauver le monde rien que par des mots. Elle croyait en Dieu, un petit peu, parce qu’il lui faisait peur. Elle allait à la messe pour manger l’hostie et pour sentir l’encens. Mais elle n’aimait pas voir les papis boiteux tendre leur langue tremblante pour recevoir le corps tout desséché du Christ. Elle avait pitié d’eux. Elle pleurait souvent à cause des vieux, sans trop savoir pourquoi.

Petite, elle avait peur de grandir. Peur de ce temps qui passe et qu’on ne peut arrêter. Elle savait qu’un jour ou l’autre il faut partir, que ceux qu’elle aime disparaitraient bientôt, trop tôt. Elle se disait qu’un jour, elle-même ne serait plus là, que son propre cœur cesserait de battre. Et cela lui faisait peur, cette fin obligée mais inconnue, impalpable, incontrôlable. Ce moment où tout bascule dans une autre sphère, peut-être vide de tout, peut-être remplie de tous ceux qui nous y attendent depuis des lustres. On n’en sait rien mais on sait avec certitude qu’il faut y aller, comme un jour d’interrogation orale à laquelle on ne peut échapper.

Petite, elle avait peur de grandir. Pourtant, c’est ce qui s’est passé. Le temps l’a forgée, l’a polie d’un côté, l’a tranchée à vif d’un autre. La rivière de la vie l’a entrainée avec elle. Elle a eu des enfants et même des petits enfants.

Aujourd’hui elle est assise dans son fauteuil au milieu de son jardin. Elle regarde les papillons voler et la ribambelle de gamins leur courir après. Tout à l’heure, elle leur préparera des tartines de confiture pour faire quatre heures.

 

 

La voisine, le 18/06/2005.


01/08/2014
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