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Regards par la fenêtre


Les 5 amis

Ils étaient là, les cinq amis, accoudés au comptoir sur la place du village, dans la nuit. Ils étaient là, réunis pour un soir, à rire comme des enfants en se moquant d’un sixième, motard barbu grisonnant.

Ils n’ont pas vu les heures tourner, leurs verres se vider, leurs poumons déborder de fumée, trop occupés à rouvrir les tiroirs du passé ; tiroirs remplis de costumes et de trésors comme seules les malles d’un grenier peuvent en cacher.

Ils étaient là, les cinq amis, à pouffer de leurs blagues ridicules qui ne font rire qu’eux, à ricaner en se prenant par le coude.

Ils n’ont pas vu les années défiler, leurs cernes et leurs rides se creuser, leurs cheveux changer de couleur. Ils n’ont pas senti le temps leur glisser entre les doigts et se dérober sous leurs pas, trop heureux qu’ils étaient ce soir-là de se retrouver au même moment au même carrefour.

Ils étaient là, les cinq amis, titubant sous le regard complice de la lune, les yeux luisant d’ivresse.

Ils n’ont pas entendu pleurer secrètement leur cœur, ils n’ont pas vu les larmes qui coulaient en silence sur leurs joues rougies d’émotion, trop attachés à emprisonner l’instant dans les filets de leur bonheur magique et éphémère.

Ils étaient là, les cinq amis, se tenant par l’épaule et fixant l’objectif de l’appareil pour figer ce moment dans une dernière grimace.

Ils étaient là, se tenant par l’épaule, par le coude, par la main, collant leurs joues les unes aux autres dans des éclats de rire à réveiller le village endormi.

Ils étaient là, à regarder sur l’écran chaque prise de vue, ne se satisfaisant d’aucune et reprenant la pose encore une fois.

Ils étaient là, les cinq amis, à retenir de toutes leurs forces les aiguilles du temps et le courant de la vie qui bientôt les feraient reprendre la route, chacun de son côté.

 

 

La voisine, 18/09/2014 et  22/11/2014


22/11/2014
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J'y suis, j'y reste!

J’y suis, j’y reste !

C’est ma place, retire ta veste.

Je me suis battu pour l’obtenir,

Alors va-t’en plus loin souffrir.

Ne me regarde pas comme ça,

Je ne te donnerai rien.

Non, mais qu’est-ce que tu crois ?

Je ne suis pas responsable de ton destin.

Je suis un honnête homme.

Moi je n’ai jamais rien demandé à personne.

 

J’y suis, j’y reste !

Fallait se lever plus tôt, pas faire la sieste.

Mais ça, vous ne savez pas ce que ça veut dire,

Vous qui passez votre temps à dormir.

Les gens comme toi, je les connais bien,

Des parasites, des profiteurs et des vauriens.

Alors va-t’en ailleurs

Importuner les autres.

Laisse-moi tranquille dans mon bonheur,

Je te répète, ce n’est pas de ma faute.

 

J’y suis, j’y reste !

Non, mais c’est fou ce que tu empestes !

Arrête de me regarder comme ça,

Je n’ai pas pitié de toi.

Toi et tes amis alcooliques,

Drogués, voleurs, tueurs d’enfants,

On paye pour vous, si ce n’est pas sadique !

On paye pour vous en travaillant.

Tu ne t’es pas endetté pour ta maison,

Alors ne me donne pas de leçons.

 

J’y suis, j’y reste !

Vous êtes pires que la peste.

Tu as raison de baisser les yeux.

Attends, retourne-toi un peu.

Ça alors, Robert, c’est à toi que je parle !

Que fais-tu là, c’est quoi cette tenue ?

Qu’est-ce que tu dis, quel plan social ?

Arrête ton char, on m’aurait prévenu.

Non, je n’ai pas ouvert ma boite aux lettres…

Mais non…elle est à moi cette place, j’y suis, j’y reste !

 

 

La voisine, 26/07-02/09/2014.


03/09/2014
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Comme dans une bulle de verre

Comme dans une bulle de verre,

Comme dans un verre à ballon,

Comme dans une balle en mousse,

Comme dans la mousse de mon bain.

L’eau n’est pas chaude, mais je n’ai pas froid.

Je ne reconnais pas ma salle de bain, mais je me sens bien.

Les murs s’écartent,

La musique m’emporte

Et je les suis de loin.

Si je pouvais voler, je serais peut-être au-dessus d’eux,

A les contempler depuis le plafond,

Depuis le ciel.

Comme dans un œuf en plastique,

Comme dans un ventre qui se serre,

Comme dans un canapé trop mou,

Comme dans une bulle de verre.

J’aimerais chanter, mais le rhum n’est pas assez chaud.

Je voudrais danser, mais mon corps est trop lourd.

Les murs se resserrent,

Le plafond s’abaisse

Et je ne vois plus très bien.

Si je pouvais voler, je m’enfuirais par la fenêtre,

Mais quelque chose me retient.

Quelque chose m’échappe, me rattrape.

Comme dans une bulle de verre,

Comme dans une balle de plomb,

Comme dans le ventre d’une guitare,

Comme dans la cage d’une chanson.

Comme si je n’étais pas là,

Comme si nous ne faisions qu’un,

Comme si j’étais chacun d’eux,

Comme si je n’étais plus personne.

Comme si je devais partir tout de suite,

Comme si j’avais le droit d’exister,

Comme si tout se résumait à ce soir,

Comme si la vie tenait dans une bulle de verre.

Un verre à ballon,

Une balle en mousse,

La mousse de mon bain.

Il n’y a plus d’eau, plus de murs, plus de plafond, plus de ventre.

Il ne reste que la musique.

Et un sourire.

Le tien, le mien.

La nuit a disparu.

Je ne veux plus être un oiseau.

 

La voisine, le 16/08/2014.


31/08/2014
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Il a mon âge

 

Il a mon âge. Il est grand. Il est beau. Depuis des jours, son sourire ne s’en va pas de ma mémoire. Il m’a parlé longuement, pendant des heures, assis en face de moi, avec ce sourire qui ne le quittait pas. Je l’ai écouté longuement, pendant des heures, assise en face de lui, fascinée par ce visage plein de lumière.

Il a mon âge. Il est grand et beau. Sa voix résonne dans ma tête comme une douleur lancinante. Ce soir encore, ses yeux transpercent les miens ; ses yeux remplis d’espoir et de crainte, ces yeux dans lesquels j’ai deviné les rêves d’un petit garçon que le monde des grands a étouffés. Ce soir encore, en regardant les oiseaux reprendre possession du ciel, j’entends son histoire courir dans mes veines et jusqu’au fond de mon ventre.

Il a mon âge et il est beau. D’autres que moi l’ont aussi compris.

Comment peut-il accepter de se salir et d’abimer son corps ? Comment peut-il supporter les regards de mépris qui suivent chacun de ses passages ? Comment peut-il encore sourire malgré les injures silencieuses et les abus ?

Alors que les fleurs nocturnes s’éveillent et répandent leur parfum dans tout mon jardin, je sens celui de cet homme comme s’il était à côté de moi, l’odeur de sa peau qui a dormi dehors ou dans un lit dont elle se serait bien passée.

Il est beau, il a mon âge et il est grand. Grand et beau comme chacun de nous mérite de l’être, comme le respect pour lequel personne ne devrait avoir à se battre, comme son sourire et comme ses yeux qui croient toujours que la vie est belle.

Alors cette nuit, peut-être le laisserai-je enfin me quitter pour aller rejoindre la place qui l’attend entre la rue et les étoiles.

 

 

La voisine, le 20/07/2014.


01/08/2014
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Ai-je le droit?

 

Ai-je le droit de dormir dehors ? Est-ce légal ? Est-ce que la loi m’autorise à m’emballer dans un carton au coin de la rue le soir venu ? Me permet-on au mieux de transformer mon vieux rafiot en caravane de fortune sur le parking d’une station de tramway ? Ai-je la bénédiction de tous d’y faire vivre mes enfants depuis des mois, depuis Noël ?

Ai-je le droit de ne pas trouver cela normal ? Est-ce un caprice ? Trouverait-on abusé si je frappais aux portes pour demander de l’aide ? Est-ce une aberration que d’avoir cru un instant qu’ici nous serions heureux, qu’ici j’avais des droits ? Suis-je donc alors coupable de cette erreur au point d’envier ce chien qui dort dedans les soirs d’orage ?

 

Et moi, ai-je le droit de le laisser partir sans lui donner de réponse ? Est-ce mon métier ? Est-ce que ma fiche de poste stipule que je lui serre la main en souriant pour l’inviter à quitter mon bureau et retrouver la rue ? Suis-je payée pour voir ces vies défiler, assise sur ma chaise sans bouger ? Ai-je, moi aussi, la bénédiction de tous d’être un espoir de plus pour tous ces gens dans cette bataille perdue d’avance ? Est-ce une aberration que d’avoir cru un instant qu’aider n’était pas que du vent, qu’ici les droits de l’homme étaient inscrits dans la constitution ? Suis-je donc aussi coupable de cette naïveté au point d’envier ce chien qui ce soir ronge paisiblement son os dans mon jardin en fleurs ?

 

 

La voisine, le 02/07/2014.


01/08/2014
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