la-page-de-la-voisine

la-page-de-la-voisine

Regards par la fenêtre


Petite rue

Elle est toute petite, même pas 100 mètres de long. Et pourtant c’est bien ma rue à moi, ma toute petite rue qui ne fait même pas 100 mètres de long, ma rue à moi qui n’a même pas de nom.

Elle est là, petite, trapue, grise… Personne ne la remarque vraiment en lui passant dessus. Et pourtant c’est bien elle, ma rue.

Si elle tourne la tête d’un côté, elle aperçoit un gros bâtiment de pierres dans lequel, à certains moments de la journée, des gens entrent pour y boire des coups et trinquer. Ce gros bâtiment, bruyant et plein de fumée à certains moments de la journée, c’est ma maison. Ma maison à moi. Ma grosse maison dans ma toute petite rue de même pas 100 mètres de long.

Si elle tourne la tête de l’autre côté, elle peut voir un joli parc avec son majestueux platane qui fait la ronde avec les acacias et le tilleul. Au milieu de ce joli parc, un bloc de granit porté par des bras de bronze tente de s’élever jusqu’au ciel, balafré du nom de ceux qui un jour, il y a de cela longtemps, sont montés dans des camions et puis ne sont jamais revenus.

Ce jour-là, il y a de cela fort longtemps, elle était déjà là ma rue, ma petite rue à moi. Elle a vu tous ces hommes monter dans les camions et elle les a attendus, longtemps… Ma rue, ma toute petite rue de même pas 100 mètres de long.

Aujourd’hui, je la regarde d’un peu plus haut, d’un peu plus loin et le gros bâtiment de pierres n’est plus ma maison.

Mais j’ai appris avec fierté que lorsque cette petite rue grise et trapue tourne encore la tête d’un côté, elle peut toujours apercevoir, à certains moments de la journée, des femmes et des hommes y faire la fête et continuer, peut-être même plus que jamais, de trinquer, trinquer, trinquer…

 

La voisine, le 18/11/2015. (texte écrit en atelier d'écriture)

 


18/11/2015
2 Poster un commentaire

Toutes ces vies

Ce soir je me sens lourde, comme trop pleine de toutes ces vies qui ne m'appartiennent pas et qui débordent de chaque pore de ma peau.

Comment m'en délester, m'en détacher un peu puisque ce ne sont pas les miennes ?

Comment ne plus croire tous ces yeux qui me disent que je suis la seule à les comprendre ?

Non, ils ne sont pas seuls, et moi non plus.

Et pourtant.

Nous nous retrouvons bien souvent, eux et moi, assis sur un banc, un siège de bus, devant une porte, dans un couloir, pendus au téléphone.

Nous nous retrouvons bien souvent, eux et moi, à traverser la ville, à remuer ciel et terre, à fouiller dans le passé pour sauver le présent, tenter de préserver l'avenir.

Nous nous retrouvons bien souvent, eux et moi, assis quelque part entre ici et ailleurs, à attendre que quelqu'un décroche, nous fasse entrer, daigne nous répondre.

Assis là à attendre qu'on nous tende la main, eux et moi, à continuer d'espérer, à garder un semblant d'ambition et de dignité.

Ce soir je me sens lourde et ivre, noyée dans un océan de fantômes dont les visages familiers continuent de m'appeler.

Je ne peux me résoudre, ce soir encore, à regagner la seule place qu'il reste sur le canot de sauvetage.

 

La voisine, 26/03-01/04/2015.


16/04/2015
0 Poster un commentaire

Je pourrais

Je pourrais être cette femme qui conduit sa voiture, les cheveux dans le vent, pour me rendre au travail. J'aurais des formes parfaites, pas un kilo en trop, pas un sein qui dépasse. J'irais fièrement à travers la ville rejoindre mon bureau pour signer des chèques, faire des plans, parler aux hommes. Je leur dirais ce qu'ils doivent faire, je donnerais des ordres. J'aurais laissé les enfants à la nounou, en la prévenant que je rentrerais tard comme d'habitude. Je retrouverais tout mon petit monde le soir pour un grand diner au bord de la piscine. Je serais grande, je serais belle. Et ma maison aussi.

Je pourrais être cette femme que je regarde dans le miroir. Cette femme qui parle devant le monde, dans la lumière, qui marche sur la vie, qui regarde d'en haut.

Alors je n'aurais plus à faire le ménage, pousser mon chariot, demander à ma grande fille de m'accompagner. Je n'attendrais pas le 5 du mois avec impatience, ne mettrais pas ma dignité en péril. Je ne sentirais pas peser sur moi le dédain et la culpabilité. J'arrêterais de dire "pardon", "s'il vous plait", "merci".

Je pourrais être cette femme mais je pourrais aussi rester comme je suis.

Rester la mère de mes enfants, la femme de mon mari, la petite fille que j'ai été et qui a rêvé, un jour, de réussir du mieux possible sa vie.

 

La voisine, le 25/03/2015


01/04/2015
1 Poster un commentaire

C'est le printemps

Les bateaux s'envolent

et les avions s'écrasent.

La musique est en grève

et le cendrier déborde.

La nuit est tombée

mais les jours rallongent.

C'est le printemps.

Des caravanes,

Des bureaux,

Des papiers,

Des sourires,

Des confettis,

Des verres de vin.

Le chien dort dans sa panière.

La maison ronronne.

La radio se transforme en manège.

Le frigo reste fermé.

C'est le printemps.

La plume passe devant la fenêtre.

Le poignard est dans le ventre.

Le vent cherche sa direction.

L'oiseau ne veut pas se poser.

Des voiles,

Des ponts,

Des visages,

Des numéros,

Des appels,

Des silences.

Les enfants arrosent le gazon

et les grands-mères distribuent des madeleines.

Les poitrines sont trop grosses

et l'avenir fait rêver.

Les bébés apprennent à marher

mais ce ne sont pas les miens.

C'est le printemps...

 

La voisine, le 25/03/2015.

 

 


01/04/2015
4 Poster un commentaire

Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser