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Solitude


Le plus difficile c'est la première heure

Le plus difficile, c’est la première heure. Soixante longues minutes qui suivent le départ et nous séparent de lui. Ce laps de temps oppressant où l’on se sent tout d’un coup seul au monde et vide de tout. On sait que cela ne va pas durer, comme tout le reste, que ces minutes aussi vont finir par passer. Alors, justement, on attend que ça passe. On attend comme on peut. On regarde son chien galoper dans les hautes herbes et pour qui rien n’a changé.

Le plus difficile, c’est la première heure. Quand la grande aiguille n’a pas encore fait le tour du cadran et que l’on lutte pour ne pas la renvoyer en arrière, pour ne pas penser à ce que l’on faisait quelques chiffres plus haut, quelques minutes plus tôt. Ce laps de temps oppressant où, comme un chien, on se tient prêt derrière le portail, tendant l’oreille en espérant reconnaitre les bruits de pas familiers déjà de retour. On sait que cela ne va pas durer. On sait que la vie normale ne va pas tarder à reprendre son cours et que le monde va se remettre en marche. Alors on attend que ça passe, figé dans le néant, jusqu’à ce que l’aiguille ait fini son tour de manège.

C’est à chaque fois la même chose. Comment le départ de l’autre peut-il nous anéantir autant, ne serait-ce qu’un court instant ? Comment le monde autour de nous peut-il se dérober subitement derrière les pas de celui qui s’en va ? Est-ce parce que l’on reste ? Pendant cette première heure, pensées et sensations s’entrechoquent, se confondent, se contredisent. Le voile de la solitude obscurcit l’avenir. On ne croit plus au présent qui glisse irrémédiablement dans le vaste océan des regrets du passé.

Soixante minutes se sont écoulées. Le cœur se remet peu à peu à battre normalement, le ventre se dénoue et les mouvements animent de nouveau le corps tout entier. Il faut cependant attendre encore un peu pour pouvoir regarder la pendule en face sans danger. Cela ne fait guère plus d’une heure, une rechute est possible. Se trouver des occupations, penser à autre chose. Le temps d’être sûr que la douleur ne va pas se réveiller, le temps de s’éloigner du portail. Le temps que le voile se lève complètement et que l’on fasse de nouveau des projets pour demain sans se retourner.

Le plus difficile, c’est la première heure.

 

 

La voisine, le 06/06/2014.


01/08/2014
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Encore une fois ils sont partis

Encore une fois ils sont partis et je suis restée. Encore une fois la journée s’est enfuie à toute allure. Elle n’a pas voulu emprisonner les rayons du soleil et retenir le vent du sud. Elle n’a pas cédé à mes appels du pied la priant de freiner la course de l’horloge pour les garder tout près de moi, encore un peu. Ils sont partis. Je suis restée.

Chacun leur tour, le soir me les a pris et les a emportés au loin, comme les nuages qui passaient au-dessus. Chacun leur tour, ils ont disparu derrière le muret pour rejoindre la vie qui bat de l’autre côté. Encore une fois, aujourd’hui s’en est allé dans sa beauté furtive. Demain promet d’être interminable.

Je continuerai d’arroser le jardin et balayer ma cour. Je me trouverai des choses à faire et je feindrai de ne penser qu’à moi. J’irai me coucher sans regarder par la fenêtre, sans chercher la lumière qui ne s’allume pas, ce soir encore. Je lutterai contre l’envie de rejoindre ce grand lit qui n’est pas le mien, contre l’espoir que durant la nuit, un souffle vienne se fondre dans ma nuque. Je me forcerai à ne pas attendre ce sourire, cet éclat de voix, toutes ces braises qui maintiennent mon cœur au chaud.

Encore une fois.

 

 

La voisine, mai 2014.


01/08/2014
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Sur mon canapé

Soleil pâle et jour de brume,

Mes pensées s’embrouillent, je m’enrhume.

A l’intérieur, tous les voyants s’allument.

 

Jour de brume et soleil pâle,

Où s’en va donc la fumée que j’exhale ?

Les ombres aussi sont parties en cavale.

 

Nuit d’argent et clair de lune,

Des mains qui s’évaporent au-dessus des dunes.

Qui viendra se coucher contre mes boucles brunes ?

 

Clair de lune et nuit d’argent

N’en finissent plus de voir filer le temps.

Mon corps se fond dans le parfum du vent.

 

Des souvenirs qu’on exhume

Aux fenêtres qu’on voile.

A quelle heure faut-il éteindre les étoiles ?

Lignes de fortune,

Chaines que l’on serre.

Demain j’y verrai peut-être un peu plus clair.

 

 

La voisine, le 12/05/2014.


01/08/2014
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Une goutte dans mon verre

Une goutte dans mon verre,

Du rose sur ma joue.

Je bois pour mon anniversaire

Et qu’on est un peu fous.

Tout le monde est là ce soir

Et puis c’est l’été.

On se fait pas mal, appuyés au comptoir,

Buvons à la jeunesse ! Buvons à l’amitié !

 

Une goutte dans mon verre,

Du rouge sur ma joue.

Je bois à leur amour prospère

Et à ce pari un peu fou.

Ça fait plaisir à voir,

Ils ont l’air si heureux.

Moi, on ne me regarde même pas ce soir,

Mais c’est tant mieux.

L’amour, voilà longtemps que j’ai laissé tomber.

A la santé des femmes et de la liberté !

 

Une goutte dans mon verre,

Du violet sur sa joue.

Je bois car je suis en colère

Et qu’il est devenu fou.

C’est mon amie et elle a mal,

Tout avait si bien commencé.

Oui mais voilà, l’habitude éteint les étoiles

A coups de poing, à coups de pied.

Ne pleure plus, ma belle,

Sans lui tu seras bien mieux.

Bois à ta vie nouvelle

Et oublie-le !

 

Une goutte dans mon verre,

Une larme sur ma joue.

Je bois car il n’y a rien d’autre à faire

Et que l’ennui rend fou.

Chacun a fait sa vie de son côté,

Loin des terrasses de nos vingt ans.

Moi, seule avec mon chien et ma télé

Je regarde vivre tous ces gens.

J’ai bien quelques amis qui passent me voir

Et parfois même des hommes dans mon lit.

Il n’y a rien dans leur regard,

Leurs yeux sont vides et sans envie.

Mais je m’en fiche tout autant,

L’amour, je sais, ce n’est pas pour moi.

Et puis je n’aime pas les enfants

Parce que je n’en aurai pas.

N’allez pas croire que je pleure,

C’est le vin qui fait briller mes yeux.

Je suis bien, seule avec mon cœur

Que je ne pourrais pas couper en deux.

 

Une goutte dans mon verre,

Une larme sur sa joue.

Je bois car je ne veux pas lui plaire

Et qu’il m’aime comme un fou.

Je lui avais dit de ne pas s’attacher,

C’était juste pour un soir et on avait trop bu.

On se connait depuis tant d’années

Et moi, je n’avais rien vu.

Comment peut-on m’aimer,

Moi, le fantôme entre quatre murs ?

L’alcool a gommé mon passé

Et il a noyé mon futur.

Il ne reste plus rien de mon sourire

Et de mes yeux de petite fille.

Il me regarde me resservir

Et s’égarer mes deux pupilles.

Dehors, sors de chez moi !

Je n’ai besoin de personne.

Je suis très bien comme ça

Et je ne veux pas ce que tu me donnes.

 

Une goutte dans mon verre,

Des larmes dans nos yeux.

Je bois sans crainte dans mon désert,

Le monde autour ne vaut pas mieux.

Peu importe si je finis seule et vieille,

Je n’ai plus peur de cela.

Et si un jour, rien ne me réveille,

Ce sera bien mieux pour toi.

Arrête, tais-toi !

J’aime pas quand t’as cet air.

Sers-toi plutôt un verre

Au lieu de dire n’importe quoi.

Non, je ne te suivrai pas dehors,

J’aime plus la rue, j’aime plus les gens.

Laisse-moi tranquille dans mon décor,

Je t’avais prévenu pourtant.

Je vois bien que tu pleures

Et c’est à cause de moi.

Fallait pas vouloir de mon cœur,

Je ne suis pas faite pour ça.

Ça y est, tu pars, c’est décidé ?

Tu as raison, t’aurais même pas dû venir.

D’ailleurs, je ne t’avais rien demandé,

Toi non plus, tu ne sais plus sourire.

C’est ça, bon vent,

Surtout ne reviens pas !

 

Non, s’il te plait, attends…

S’il te plait non, ne me laisse pas.

 

 

La voisine, le 03/08/2008.

 

 


01/08/2014
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Cela ne voulait rien dire

 

Et cela ne voulait rien dire. La lumière renaissante sur les feuilles dorées du jardin, la valse des moustiques autour de son visage, l’odeur des grillades et les rires des voisins. Tout cela ne voulait rien dire. Tout cela ne lui parlait pas. Elle était depuis bien longtemps devenue aveugle au spectacle de la nature, son visage avait fané et son cœur restait sourd à l’appel du monde extérieur. Cela faisait bien longtemps que les portes s’étaient refermées, les rideaux baissés et la lumière éteinte.

Prisonnière dans ses propres murs, elle ne voyait plus, n’entendait plus, ne sentait plus tout ce qui se passait juste à côté. Elle n’y pensait plus. Voilà bien longtemps aussi qu’elle ne songeait plus à rien. Sa mémoire avait déserté la maison le jour où elle avait rabattu les volets de sa vie. Plus rien ne sortait de là à présent et plus rien n’y entrait. Parfois peut-être un rayon de lune parvenait à percer la façade lisse de ses yeux vides un court instant ou bien une voix sortait brièvement de leur torpeur ses deux oreilles, pareilles aux feuilles d’un chêne à la fin de l’automne. Mais aussitôt après, le silence et la pénombre reprenaient leur place, faisant taire la pendule et recouvrant les rayons de lumière d’un voile si épais que tout devenait gris. Comme ses cheveux, comme ses yeux, comme ses mains. Les couleurs de dehors, la musique, les odeurs ne lui parvenaient plus. Cela ne voulait rien dire, cela ne lui parlait plus.

Les saisons, les jours, les heures ne lui signifiaient plus rien. Le temps avait fini par la fuir, par quitter cette maison austère et glacée, lassé par l’ennui et l’oubli. Il l’avait laissée là, sur sa chaise face à la fenêtre qu’elle fixait encore de ses deux billes transparentes mais sans rien regarder, sans rien chercher, sans rien trouver. Il l’avait laissée là les mains croisées sur ses jambes tremblantes ; ses mains comme tout le reste de son corps, plissées comme le temps par les années, par l’ennui, par l’oubli mais qui n’avaient pas réussi à fuir.

Assise sur sa chaise, elle semblait prête mais n’attendait rien. Qu’importe la vie en-dessous ou au-dessus d’elle, elle la traversait sans même s’en apercevoir, longeant le couloir sans toucher aux parois.

Puis un soir, alors que le soleil jetait ses derniers rayons sur la cime des arbres en fleurs, dans le vacarme des rues où se pressait la foule attirée par le parfum de l’été comme les insectes par la chaleur des réverbères, ses yeux se sont fermés sur la fenêtre. Ses mains se sont doucement déliées et pour la dernière fois, elle a baissé la tête, comme à la fin d’une représentation. Dehors la  vie grouillait aux terrasses des cafés. Mais cela ne voulait rien dire.

 

 

La voisine, le 14/07/2008


01/08/2014
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Le ciel est bas et la musique est belle

 

Le ciel est bas

Et la musique est belle.

Prisonnière de mes rêves,

Je ne peux fermer la porte

Malgré la pluie,

Malgré ces gouttes qui tombent sur mes pieds.

Condamnée à prendre l’eau,

Immobile avant la nuit,

Je regarde pleurer les nuages

Sur mon jardin qui s’ouvre.

Il danse sous la pluie

Au son de la musique

Qui s’échappe de ma maison.

Dedans, tout est endormi.

Tu ne viendras pas.

Le ciel s’en va

Et moi je reste assise

Devant la porte.

Les voitures passent,

Les phares s’allument,

La pluie s’arrête.

La chanson est terminée,

Les fleurs vont se coucher.

Seule sur le palier,

J’attends la lune.

Tu ne viendras pas.

 

 

 

La voisine, le 20/07/2014.


01/08/2014
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Une plage sauvage

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Une plage sauvage, un peu sale, presque déserte. Du sable à perte de vue, quelques nageurs courageux et l’océan qui ronronne.

Il me fallait bien cela pour arriver à semer celle qui m’accompagne depuis des jours et dont je me lasse certaines fois. Des corps en vacances, rosis au naturel, le claquement d’une balle en plastique sur des raquettes en bois, le souffle de mon chien allongé sur mes pieds et l’océan qui ronronne.

Il me fallait tout cela pour oublier un instant mon amie fidèle et silencieuse. M’enfuir, ne serait-ce que quelques heures, pour changer d’air, de visage et de voix. Pour ne plus entendre ce refrain que je connais par cœur, pour ne plus voir son sourire complice partout où mon regard se pose, pour ne plus me heurter à elle entre les murs trop étroits de ma maison.

Il me fallait cette immensité, ce trop-plein d’espace et de vent, ce désert qui s’étend depuis mes pieds jusqu’au dessus de ma tête. Etre infidèle, ne serait-ce que quelques heures, à ma compagne pour tenter d’en retrouver une autre, plus capricieuse et plus farouche.

Chercher à l’apprivoiser, comme chaque fois que je la croise, l’attirer jusqu’à moi sans la brusquer, la laisser s’approcher doucement tout en fixant l’horizon, faire mine de ne pas la remarquer alors qu’elle s’assoit près de moi. Puis, la sentant disposée à me suivre, la coucher délicatement sur ma page avec la pointe de mon crayon. L’instant est bref, fragile. Cet oiseau de passage me quittera bientôt sans crier gare et me laissera de nouveau seule, avec ma feuille, mon crayon et mon chien. Je ne sais pas si et quand je la retrouverai. Je resterai là, les pieds enfouis dans le sable, à contempler ce qu’elle m’aura chuchoté à l’oreille, dans un souffle presque imperceptible, noyé par le chant des mouettes et l’océan qui ronronne.

 

 

La voisine, le 12/07/2014.


01/08/2014
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