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Cela ne voulait rien dire

 

Et cela ne voulait rien dire. La lumière renaissante sur les feuilles dorées du jardin, la valse des moustiques autour de son visage, l’odeur des grillades et les rires des voisins. Tout cela ne voulait rien dire. Tout cela ne lui parlait pas. Elle était depuis bien longtemps devenue aveugle au spectacle de la nature, son visage avait fané et son cœur restait sourd à l’appel du monde extérieur. Cela faisait bien longtemps que les portes s’étaient refermées, les rideaux baissés et la lumière éteinte.

Prisonnière dans ses propres murs, elle ne voyait plus, n’entendait plus, ne sentait plus tout ce qui se passait juste à côté. Elle n’y pensait plus. Voilà bien longtemps aussi qu’elle ne songeait plus à rien. Sa mémoire avait déserté la maison le jour où elle avait rabattu les volets de sa vie. Plus rien ne sortait de là à présent et plus rien n’y entrait. Parfois peut-être un rayon de lune parvenait à percer la façade lisse de ses yeux vides un court instant ou bien une voix sortait brièvement de leur torpeur ses deux oreilles, pareilles aux feuilles d’un chêne à la fin de l’automne. Mais aussitôt après, le silence et la pénombre reprenaient leur place, faisant taire la pendule et recouvrant les rayons de lumière d’un voile si épais que tout devenait gris. Comme ses cheveux, comme ses yeux, comme ses mains. Les couleurs de dehors, la musique, les odeurs ne lui parvenaient plus. Cela ne voulait rien dire, cela ne lui parlait plus.

Les saisons, les jours, les heures ne lui signifiaient plus rien. Le temps avait fini par la fuir, par quitter cette maison austère et glacée, lassé par l’ennui et l’oubli. Il l’avait laissée là, sur sa chaise face à la fenêtre qu’elle fixait encore de ses deux billes transparentes mais sans rien regarder, sans rien chercher, sans rien trouver. Il l’avait laissée là les mains croisées sur ses jambes tremblantes ; ses mains comme tout le reste de son corps, plissées comme le temps par les années, par l’ennui, par l’oubli mais qui n’avaient pas réussi à fuir.

Assise sur sa chaise, elle semblait prête mais n’attendait rien. Qu’importe la vie en-dessous ou au-dessus d’elle, elle la traversait sans même s’en apercevoir, longeant le couloir sans toucher aux parois.

Puis un soir, alors que le soleil jetait ses derniers rayons sur la cime des arbres en fleurs, dans le vacarme des rues où se pressait la foule attirée par le parfum de l’été comme les insectes par la chaleur des réverbères, ses yeux se sont fermés sur la fenêtre. Ses mains se sont doucement déliées et pour la dernière fois, elle a baissé la tête, comme à la fin d’une représentation. Dehors la  vie grouillait aux terrasses des cafés. Mais cela ne voulait rien dire.

 

 

La voisine, le 14/07/2008



01/08/2014
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