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Encore un peu dans l'eau

Vendredi 16 mai. Je retrouve la terrasse du Cajou.

Le printemps est arrivé. Il s'est même installé. Plus besoin de rester sous le chauffage. Ce soir, je suis assise sous un magnolia.

La dernière fois que je suis venue ici, je n'avais pas encore de nouveaux pieds mais je marchais plus vite.

Je vais bientôt retourner travailler. Dans 10 jours. Je ne veux pas. Est-ce pour cela que j'ai pleuré tout aujourd'hui ? Est-ce parce que je suis si bien comme ça, un peu déconnectée du monde dans ma bulle ? Mes pieds ont du mal à me porter, pourtant je nage.

"Vous écrivez un roman ?"

Je nage dans un univers parallèle mais pas isolé. Dans une eau claire et chaude, dans un courant paisible, un flot de lettres, de pensées, de silences. Je nage dans cet océan qui m'est si familier. Comme si depuis toutes ces années je n'avais fait que suivre des rivières, des ruisseaux, des torrents, parfois tourbillonnants, parfois asséchés. Autant de cours, de chemins qui finalement m'ont ramenée au point de départ. Depuis toujours, c'est ici que je veux être, dans cette vaste étendue bleue. Je le sais depuis que je suis née. Dans mon périple, je me suis perdue, j'ai pris des courants inverses, je me suis échouée sur des rochers, des îles désertes, des contrées nouvelles...

Je ne regrette rien, bien au contraire. Mais maintenant que j'ai retrouvé ma mer, je ne veux plus la quitter.

Je redoute ce moment où il me faudra me lever, sortir du flot paisible des vagues et remonter dans le bateau qui me ramènera sur terre. On va m'enlever mes nageoires et mes pieds pourront de nouveau fouler le sol. Je vais me rasseoir à mon bureau et reprendre le rythme de ce monde que je contemplais derrière la vitre de mon aquarium.

"Merde, c'est l'anniversaire d'Auréla, la copine de Ben !"

J'aime ce que j'écris. Je ne veux pas qu'on me retire ma plume et mes écailles. Je ne veux pas que mes pieds se remettent à marcher. Je ne veux pas m'oublier une fois de plus sur le bord de la route. Je ne veux pas être la passagère, l'auto-stoppeuse. Je veux continuer à regarder à travers mes yeux, à tenir le volant.

Pourtant malgré ma vigilance je sens déjà des ficelles se tresser autour de moi. Je crains de ne plus voir bientôt de l'autre côté du mur. Je crains que ma bulle se perce et que mon univers vacille.

"On va boire un shooter, ça va nous mettre dans l'ambiance."

Comme dans un rêve dont on sait le réveil irrémédiable, je me vois déjà attendre la sentence et préparer la contre-attaque. Mais aucune arme ne me convient. Je ne veux pas la guerre. Alors je me retrouve là, en plein carrefour à espérer qu'on me donne la direction à prendre. Mais qui tient le volant ? Je voudrais que ce soit moi mais j'ose à peine bouger.

Qu'est devenue la vie, la vie si belle dans tout cela ? On dirait que je la vois d'un peu plus loin.

Il faut juste que le vent se calme afin que je puisse l'entendre me murmurer à l'oreille qu'on est belles toutes les deux.

Il faut juste que l'on s'accorde, la vie change tous les jours et moi aussi. Comme les notes d'une nouvelle partition, il faut un peu de temps pour retrouver ses repères. Je lui fais confiance, elle ne m'abandonnera pas.  Dans un bateau ou sous les flots, avec mes chaines ou en roulotte, je sais qu'elle me suivra.

On se l'est juré il y a de cela un peu plus de 4 mois, en pleine nuit d'hiver, dans l'oeil bleu d'un félin.

 

La voisine, le 16/05/2014.



05/08/2015
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