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Lulu femme nue

Lundi 24 février.

Café de l'Utopia, tout juste revenue d'un joli petit voyage avec Lulu. Tout juste revenue d'un court séjour en terres natales.

Mais contrairement à elle et paradoxalement, c'est en ville, chez moi, que je me sens entière, plaine d'air frais. C'est ici que le courant de l'inspiration reprend son rythme chaotique, inégal, surprenant, fougueux, sournois.

Moi, l'enfant du village, de cet irréductible trou de verdure cerné par les bois, gardé par des têtes familières, préservé de la cohue, des néons et des gaz d'échappement, fier de sa réclusion.

Cela devient rare.

Jusqu'à quand ce petit coin restera-t-il perdu ? Et authentique, fidèle à ce qu'il a toujours été, du moins du plus loin que l'on m'en a parlé.

Car cela devient rare en effet.

Un jour peut-être finira-t-il dans un musée ? Un jour peut-être les gens à l'intérieur ne seront-ils plus vrais, mais de simples reproductions en cire de personnes que j'aurai croisées dans mon enfance. Un jour peut-être n'entendrons-nous plus crier le dimanche après-midi au bord de la rivière, ni crisser le sifflet de l'arbitre annonçant les oranges à mi-parcours. Pas plus que les cloches du déjeuner ou du diner. Un jour peut-être tout cela sera-t-il consigné au fond d'une grande pièce froide, sous une plaque de verre ou sur une pellicule.

Car cela devient devient rare en effet.

Et moi, l'enfant de ce rescapé encore debout bien que fragile, je me sens revivre lorsque je m'en éloigne.

" Et voici Monsieur ! "

Oui, c'est parmi la foule qui s'agite ou se repose, se retrouve ou se quitte, se met à table ou part en voyage que j'aime être. J'ai essayé de lutter contre cela il y a quelques années, trop imprégnée de cette histoire et cette identité dont je voulais faire partie. Trop bercée par cette fierté gauloise de préférer l'odeur du fumier à celle du gasoil. Et pourtant j'ai succombé à chaque fois. Mes tous premiers poèmes à notre capitale, mes éloges à la ville rose, ma communion avec le Bosphore...

Je n'y peux rien, c'est ainsi. La vie est belle ici, tout juste revenue d'une rencontre avec Lulu

" Non à 22h30 le service est coupé coupé !"

La vie est belle ici, il n'y a rien à faire. Je crois que je n'aime pas le silence. Je crois que je ne crains pas la solitude. Je crois que c'est ce qui fait que c'est ici chez moi. Il y a tant de vies à écouter, à regarder, à imaginer. Sur la chaise d'à côté, la terrasse d'en face ou la fenêtre sous le toit là-bas. Il y a tant de  choses à prendre, tant à donner.

" Les yaourts faits maison, t'as 7 jours pour les manger."

Une séance vient de se terminer. Une vague de visages à moitié endormis sort de la salle 5. Qu'ont-ils pensé de ce qu'ils viennent de regarder et qui leur a coûté 6,50 € ? Que vont-ils faire juste après ? Aller boire un verre en face, à la terrasse chauffée du Cajou, à ma table, et refaire le film, en discuter, le décortiquer tel une grenouille en cours de biologie ? Dire à quel point il les a émus, bouleversés, interrogés, ennuyés... Ou bien rentrer chez eux comme si de rien n'était, oubliant à chaque pas un peu plus de l'histoire de Lulu. Et demain, leur vie sera identique à celle d'aujourd'hui. Rien de plus, rien de moins.

Et moi ? Est-ce que Lulu va m'accompagner quelques jours, quelques mois, peut-être quelques années ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr c'est que ce soir, cette femme fragile et toute nue m'a parlée. Simplement, comme le vent, comme les mouettes au-dessus de l'océan, avec des yeux humides et des rides à leur coin.

 

La voisine, le 24/02/2014.



25/07/2015
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