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Je remange de la viande

Samedi 30 août. Me voilà de retour au Cajou.

L'été n'en a pas tout à fait fini, il est même revenu aujourd'hui, lui que l'on a tant attendu.

C'est sûr, il ne s'est pas foulé. Et dans un peu moins d'un mois, il prendra déjà congé. Les miens sont terminés depuis un peu plus d'une semaine.

"Tu te prends les roues de vélo dans les rails du tram, ça te stoppe net !"

Malgré cet été paresseux, j'ai passé de merveilleuses vacances. Sans aller bien loin, je me suis fait des souvenirs qui continuent chaque jour de me donner le sourire.

J'ai changé.

Avant, je me retournais pour les regarder par-dessus mon épaule, le ventre noué, la gorge serrée. Je m'en voulais d'avoir laissé filer ces instants de bonheur, de ne pas avoir su les garder, d'en avoir fait de vulgaires moments de vie figés dans le tiroir de la mémoire. Comment aurais-je pu en faire autrement ? Oui mais voilà, avant la vie n'était pas aussi belle, et je m'en voulais.

J'ai changé.

Je ne me contente plus de regarder les souvenirs bien rangés dans un album qu'on feuillette avec nostalgie. Aujourd'hui, je continue de les vivre et de les ressentir. Parce qu'ils n'appartiennent pas qu'au passé, parce qu'ils me suivent tous les jours. Parce qu'ils sont aussi beaux que moi. Pourquoi m'en voudrais-je ? Je n'ai rien fait de mal, bien au contraire. Ces souvenirs sont des fragments d'une vie merveilleuse, quoi qu'il advienne. J'ai su les saisir, j'ai su les vivre et en profiter. Pourquoi tout gâcher en me reprochant des choses inutiles ?

J'ai bien changé.

"D'ailleurs, je lui ai acheté de la tisane".

J'ai encore grandi.

Ces 3 mois entre 2 Cajou m'ont encore vue pousser comme les pieds de tomates de mon jardin.

3 mois. Le temps d'une saison. Celle-ci s'achève dans 3 semaines, une autre prendra sa suite. Comme toujours. Comme un manège. Comme un sourire suit une belle parole, comme la faim vient après l'odeur de gaufres.

Durant l'été, mon corps s'est mis à me réclamer des choses. Des choses dont il n'avait pourtant pas voulu pendant des années. Comme il est mon ami, je n'ai pas pu les lui refuser. Il a bien fait de me les demander. J'ai bien fait de les lui offrir.

Comme c'est bon de retrouver ce goût ! Comme c'est bon de se l'autoriser ! Comme c'est bon de se libérer de cette contrainte, de ne plus se restreindre à quelques choix, de lire de nouveau la carte des plats de haut en bas, sans cache, sans oeillère !

De lire et s'arrêter tout simplement sur ce qu'on a envie de manger, là, ce soir, parce qu'on en a envie, parce que ça va être bon.

D'être d'accord avec ce choix, de s'en délecter, de s'en féliciter.

Comme c'est bon d'avoir le ventre qui tire un peu juste après ! Comme c'est bon de le sentir ce ventre se remettre au boulot, se remettre à digérer des aliments dont il avait oublié le nom si longtemps ! Tant pis si c'est un peu douloureux. C'est le signe que mon ventre, que mon corps tout entier est vivant. Il a souffert un peu ces derniers jours. Mais la douleur est différente lorsqu'elle émane de nos choix. Elle sait se faire accepter, on arrive à s'en accommoder puisqu'en fin de compte, elle ne vient que de nous. Alors on la prend sous le bras, on la laisse nous suivre pour quelques temps.

"Personnellement, j'ai un peu froid et je préfère aller me réchauffer".

Et puis un beau jour, la douleur s'estompe et disparaît. Le ventre a fini par digérer. On remange de la viande.

J'ai bien changé.

Mon corps est mon ami, la vie aussi. Et tous les 3, nous avons tellement de jolies choses à vivre ! Que l'été parte en vacances, que l'automne s'installe avant que l'hiver ne le chasse, les chemins qui m'attendent ne me font plus peur.

Ce qui pourrait me faire peur, serait de me perdre, de m'oublier quelque part et ne plus me rappeler où. Ce qui pourrait me faire peur, serait de me chercher alors que j'avais fini par me trouver.

Alors voilà ma mission, faire attention à moi, veiller sur moi pour ne pas que je m'égare, garder un oeil ouvert, même de loin, pour m'assurer que je ne m'approche pas trop près du puits. Voilà ce dont je dois me préoccuper. Ne pas me perdre maintenant que je me tiens. Ne pas perdre ma plume maintenant que je la serre dans mes mains.

Car il est trop tard, j'y ai goûté et regoûté. Comme la viande.Comme il est bon de laisser glisser le stylo sur les pages ! Comme il est bon de retrouver ce plaisir tant de fois refoulé, de faire de mes doigts les interprètes de mes pensées et de mon imagination !

" On va chercher une feuille, on refait ? "

Voilà ma mission. Ne pas laisser ma plume s'envoler. Elle est si fragile. Elle est venue se poser dans mes mains alors que je n'osais plus espérer son retour.

23h06.

Irai-je dormir en face cette nuit ? Dans ce grand lit où personne ne me rejoindra. Dans cette chambre où l'heure s'affiche au plafond et écrit des mots. Certainement. J'y ai la place pour tous mes rêves.

 

La voisine, le 30/08/2014.



24/08/2015
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