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Un endroit plus que familier

Mercredi 26 mars sur le canapé de la maison d'en face. Je suis presque aussi anonyme qu'à ma table du Cajou.

Les sons que je capte à la place des phrases que j'attrape habituellement au vol me renvoient ce soir dans un lieu que je connais bien, ou plutôt que j'ai bien connu. Car il n'existe plus.

Un endroit plus que familier, une maison dans laquelle se côtoyaient des gens, parfois semblables, parfois très différents. Un endroit où tous se retrouvaient régulièrement autour d'un verre ou de plusieurs, sur un coin de table, un bout de comptoir. Jeunes et vieux, hommes et femmes, chasseurs, docteurs, routiers, mères au foyer, étudiants, ouvriers, chômeurs, vacanciers ; pour la plupart tous adeptes de la balle ovale mais par-dessus tout fiers et même plus que cela, attachés, accrochés, agrippés à ce petit bout de terre, cette irréductible partie du monde, ce village perdu au milieu des chênes et des châtaigniers. Et dans cet amas de maisons agglutinées, solidaires pour se tenir chaud les soirs d'hiver, bras dessus bras dessous pour les farandoles des nuits d'été, se trouvait ce lieu, cette maison où la musique de ce soir me dépose.

Au fil des accords, je revois le carrelage démodé du bar, le cuivre auréolé du comptoir, les tables en formica et les chaises en bois au dossier arrondi. Sur le mur dans un coin, le classement du championnat régional de rugby et la composition de l'équipe pour le match à venir. Au-dessus du zinc, les différentes coupes s'emplissant d'année en année de poussière mêlée de fumée et de graisse. Derrière le bar, une pendule aussi démodée que le carrelage, des bouteilles de sirops, de vins cuits, de digestifs dont certaines sont là depuis trop longtemps mais que l'on n'ouvre qu'à l'occasion, la bonne. Sous les bouteilles, les verres aux différentes marques, aux différentes formes. Plus bas encore, les frigos en bois remplis de jus de fruit et de sodas. Encadrant tout cela, des cartes postales comme on en trouve dans tous les bistrots. Des récits de voyage de tous ceux qui sont passés au moins une fois dans cette irréductible maison et souhaitant partager un bout de leur existence hors de ce lieu (sur une plage, dans une capitale du monde, en haut d'une montagne), loin des tables en formica, loin des coupes, du carrelage et de la pendule démodée.

Comme si, même à des milliers de kilomètres, on ne pouvait s'empêcher de ramener ses pensées à cet endroit, irrémédiablement. Comme si l'on regrettait presque de l'avoir quitté, d'en être parti ne serait-ce que pour une semaine. Comme s'il nous tardait déjà d'y retourner. Comme si, finalement, il n'y avait que là que la vie valait d'être vécue.

Et ce soir, le rhum dans mon verre et les sons autour de moi me ramènent sur l'une de ces cartes postales, sous la pendule jaunie, dans ce lieu que j'ai si bien connu mais qui n'existe plus.

Est-ce pour cela que ce soir, mon coeur un peu lourd m'envoie regarder avec une profonde nostalgie à travers les vitres embuées l'intérieur de cette maison enfumée qui fut la mienne pendant plus de 20 ans ?

 

La voisine, le 26/03/2014.



02/08/2015
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